jeudi 25 août 2011

Une fenêtre en lieu public


Cette fenêtre n’a pas été faite pour les rêveurs. Car on ne voit guère le monde extérieur. On ne voit que des façades de brique de la bibliothèque—très proches—et d’autres fenêtres. Je suis coincé dans mon carrel, et ce n’est qu’en me penchant que je peux entrevoir un petit filet de ciel bleu qui me donne envie de me pencher davantage pour mieux voir ce seul endroit où la vue peut se transporter au loin. Mais le carrel est si petit et ma tête heurte le mur. Je regarde alors en bas, vers le sol. Là, en contrebas, je vois vertigineusement une porte de livraisons blanche avec un panneau qui dit « No Smoking ». Une camionnette blanche y est stationnée. Un vieil homme (cheveux gris, chemise verte) pousse une sorte de table technologique sur roulettes vers la camionnette et il disparaît de vue. Quand il revient, lentement (car il n’a pas hâte de retourner à son poste de travail à l’intérieur), il n’a plus la table. Le vieil homme—ne sachant pas que je le regarde—se plante tout à côté du panneau défendant de fumer, et, tout insolemment, allume une clope. Il la fume lentement, savoureusement. Il a l’air de rêver ou de penser à quelque aventure qu’il aurait eu avec une jeune femme il y a 40 ans. Et son poste de travail l’attend à l’intérieur, peut-être derrière cette fenêtre qui attire mon attention maintenant, cette fenêtre excentrique et grande où quelqu’un (le vieil homme ?) a rangé une petite armée d’ours en peluche de toutes couleurs (une douzaine d’ours et un seul hippopotame rouge assez incongru). Normalement quand les gens mettent des ours en peluche dans leurs fenêtres, c’est pour les voir de face, de les avoir en face de soi, souriants, rassurants. Mais non, celui qui a rangé ces ours et cet hippopotame dans cette fenêtre les a rangés de façon qu’ils regardent vers l’extérieur, pour qu’ils puissent rêver eux aussi peut-être, comme rêve cet homme qui fume sa clope, comme, finalement, moi, je rêve, ici, dans mon carrel de bibliothèque, même si sa minuscule fenêtre n’a pas été faite pour rêver.

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