Avec les yeux injectés de sang, elle s’est fixée sur son reflet : la peau blême, les boucles noirs, et les lèvres rouges, enfoncées dans un sourire menaçant. Le grand miroir baroque semblait engloutir la loge vide, ses chérubins dorés sautillant autour de l’obscurité béante. Elle s’est courbée pour lacer ses ballerines, caressant la soie mouillée de larmes, les semelles griffonnées avec les vers de Rilke, et elle savait qu’elle était prête.
La loge débouchait sur un couloir désert, un vortex vide en plein cœur du studio. Une feuille, simple et blanche, collait au mur. Avec les doigts tremblants, elle trouvait son nom, parcourant à travers la page aux mots fatales : Corps de Ballet. Elle refusait d’être l’une des danseuses nombreuses, pas encore, pas cette fois. Elle sentait la montée de fureur dans sa poitrine, menaçant d’écraser ses os, de déchirer ses tendons. Elle a arraché le papier et elle l’a jeté par terre, regardant les petits morceaux pâles qui tombaient aussi doucement que la neige. Ses yeux pleins de larmes, elle continuait dans le couloir.
La scène sombre luisait comme un flocon d’obsidienne, éclairée par une seule lumière. Pendant qu’elle a étiré ses membres, en retenant son souffle, elle la regardait des coulisses. Elle a sorti une flasque et elle a siroté d’elle, la gravure ternie grattant ses lèvres. La colère dans sa gorge était remplacée par la brûlure d’alcool, si chaud et clair. Elle a pris une boite d’allumettes et l’a glissée dans sa pantoufle. Ses mains ne tremblaient plus ; la colère avait disparu, alors elle a fermé ses yeux.
Au début, il n’y avait rien sauf que le noir, tout autour d’elle, envahissant tout, un drap noir et immobile. Elle ne s’inquiétait pas, mais elle attendait pour l’inspiration. Peu à peu, les figures ont apparu, une bande de gris sur la gauche, une volute de blanc sur la droite, leur mouvement lent et prudent. Quelques minutes ont passées, et elle commençait à voir plus clair, les danseuses fantomatiques, les créations de son imagination tourmentée. Tout d’un coup, la musique a sonné, ses trompettes et violons résonnant dans le théâtre, et le rideau s’est levé.
Sous la lumière, elle a commencé à danser, ses pas simples et gracieux, ses yeux toujours serrés fermés. Elle sentait les allumettes contre sa voûte plantaire, la brûlure dans sa gorge, les petits rappels de sa tâche. La musique s’accélérait lorsqu’elle a fait les pirouettes et les demi pliés, tournoyant à travers la scène. Elle a dansé sans arrêt, libre et heureuse pendant que les allumettes traçaient son cours dans sa pantoufle. Enfin les trompettes ont ralenti et les violons ont cessé ; elle a pris son salut final, sous la clameur du public, sur les bouquets éparpillés sur la scène. Avec un sourire, elle a ouvert ses yeux.
Le silence et le vide la saluaient. Elle a pris les allumettes de sa pantoufle et elle en a allumé une, en regardant sa flamme dorée, si délicate, si transitoire, mais si puissante. Elle l’a jeté derrière son dos. Le feu ravageait la scène, un enchevêtrement sauvage des flammes sautaient et dansaient dans l’obscurité. Sous la fumée épaisse, elle pensait à sa danse finale, atroce et belle, et enfin elle a quitté la théâtre qui brulait dans la nuit.
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